lundi 26 novembre 2012

Le peuple de Mao


Billet de Jocelyn Morand-Contant

Frolic, Michael B. “Le peuple de Mao : Scènes de la vie en Chine révolutionnaire », Paris, Témoins Gallimard, 1982, 265 pages.

Michael B. Frolic est professeur émérite au département des sciences politiques à l’Université de York à Toronto. Il est également le directeur du Asian Business and Management Programme.  Il travaille notamment sur les relations internationales entre la Chine et le Canada.
Le Peuple de Mao est un livre composé de 13 petites histoires racontées par des Chinois qui se sont réfugiés à Hong Kong. Frolic a recueilli leur histoire entre 1971, 1974 et 1975. Les  narrateurs ce ces histoires peuvent être soit des hommes ou des femmes, des jeunes ou des moins jeunes, des gens de la ville ou de la campagne et proviennent du sud ou du nord de la Chine. Ces histoires se déroulent entre 1968 et 1974 et ont toutes un lien direct avec la période de la Révolution culturelle. Ces histoires qu’ils nous racontent varient énormément d’une personne à l’autre, mais tous parlent de l’omniprésence de la politique, du clivage entre la campagne et la ville, de la corruption ainsi que de leur expérience personnelle de la Révolution. 

Le premier aspect frappant de ce livre est le monde de différences qui sépare la ville de la campagne. La politique est surement l’aspect le plus facile à détecter. En campagne, les gens sont beaucoup moins préoccupés par la vie politique. Ils sont loin des grands centres de décision et plusieurs narrateurs qui vivaient en campagne avaient été transférés de force. Leur carrière étant limitée à cause de leur dossier, plusieurs ne suivent pas ce qui se passe. S’ils le font, c’est surtout pour savoir quand ils pourront revoir leur famille en ville. Les gens à la campagne sont également moins éduqués et cela pourrait expliquer en partie leur désintérêt envers la chose politique. Un autre aspect intéressant que l’on remarque dans quelques histoires est les jugements que portent les citadins envers les paysans. Plusieurs trouvent  leurs mœurs féodales alors que d’autres les jugent inférieurs dues à leur faible scolarité. Aussi, dans la première histoire, les citadins qui vivent dans des écoles en campagne ne se mêlent jamais avec les paysans des communes. Pourtant, les deux groupes auraient avantage à apprendre un de l’autre. Les citadins ont des lacunes en agriculture et en élevage, alors que les paysans sont peu éduqués. 
Un deuxième aspect qui ressort de ce livre est la façon dont la Révolution culturelle prend une place différente dans chaque histoire. En ville, la Révolution est très importante et plusieurs voient leur vie être complètement transformée. La plupart des cadres qui sont persécutés se font envoyer en camp pour être rééduqués. Ils vivent en campagne sans leur famille et cette situation est très difficile à accepter. Il arrive à quelques reprises que le narrateur ou la narratrice raconte que des collègues se sont suicidés, car il ne pouvait plus supporter la situation dans lequel il se trouvait. La Révolution culturelle n’est pas que destructrice de carrière. Pour certains jeunes, elle est un moyen de traverser le pays et de vivre de nouvelles expériences. 
La corruption est un autre élément qui ressort des 13 petites histoires. Dans une des histoires, un homme nous raconte comment fonctionne le système de la « Petite porte ». Ce système est basé sur l’échange de biens et/ou de services afin de se procurer quelque chose que l’on ne pourrait avoir normalement par la « Grande porte ». Par exemple, un médecin pourrait vous donner un billet médical vous donnant droit à prendre congé pendant une semaine tout en étant payé. En échange, vous qui êtes boucher, lui donner une quantité X de porc. Cette utilisation du système de la Petite porte est acceptée par le peuple et la plupart des gens sont d’accord avec ce principe, car ils le pratiquent eux-mêmes. Ce qui les choque, c’est la façon dont l’élite (les cadres et les militaires) utilise le système pour empêcher leurs enfants d’aller à la campagne et ainsi qu’ils aient directement à l’université.  
L’omniprésence du parti dans la vie quotidienne est également un autre élément important des 13 histoires. En ville comme à la campagne, les Chinois doivent assister à des séances d’étude politique après leur travail. Ces séances durent plusieurs heures et arrivent 2 à 3 fois par semaine. Ils doivent lire des textes à saveur politique et échanger sur le sujet. Plusieurs ne veulent pas y participer, car ils ont peur de dire une mauvaise réponse. Aussi, il y a toutes ces campagnes anti-cela et anti-ceci qui arrivent à répétition et qui chamboulent la vie de certains narrateurs. La politique est vraiment présente partout, autant lors de la préparation d’un mariage qu’à l’usine. Cette omniprésence est d’ailleurs une des raisons qui expliquent le départ de ces Chinois à Hong Kong.
Un dernier aspect que je trouve important est la remise en question que se posent certains narrateurs sur la Révolution culturelle. Plusieurs Chinois de ces histoires croient que la Révolution n’a pas servi à grand-chose et qu’elle a amené plus de problèmes que de bienfaits. D’autres croient que la Révolution a valu la peine, même s’il y a eu beaucoup  de morts.
Ce livre est vraiment intéressant, car il nous permet de gouter à toutes les histoires possibles autour de la Révolution culturelle. Que ce soit la vie d’un jeune cadre, celle d’un expatrié qui revient en Chine ou bien celle d’une vieille dame à la retraite. Cette pluralité d’expériences est vraiment intéressante, car elle nous permet de voir comment les histoires peuvent être différentes tout en étant semblables du point de vue des sujets qu’ils abordent.  



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