lundi 29 octobre 2012

Entraide spontanée, entraide provoquée en Chine rurale


Amélia Lecousy
Billet 4

AUBERT Claude, YING Cheng et KICHE Leung. Entraide spontanée, entraide provoquée en Chine rurale : l’intervention communiste (1943-1944). Dans : Annales. Histoire, Sciences Sociales, 37e année, no. 3 (Mai-Juin 1982), pp. 407-433. 

Claude Aubert est ingénieur agronome et sinologue, né en France, en 1936. Il est surtout connu pour ses ouvrages sur l’alimentation. Il est présentement directeur de recherche à l’INRA et est le fondateur de la revue Terre vivante. Cheng Ying est anthropologue originaire de Taiwan et a partagé pendant un an la vie quotidienne des habitants du village de Mancang, pour essayer de comprendre leur mode de sociabilité. Elle travaille à l’EHESS et a publié de nombreux articles et livres sur les villages et paysans, notamment, Les paysans de Mancang : Chronique d’un village taïwanais, en 2000. Enfin, pour ce qui est de Leung (Angela) Kiche, elle est professeur et directrice du département d’histoire de l’Institut de Hong Kong. Elle a publié de nombreux livres en anglais, en français et en chinois. Son champ d’étude se focalise sur la culture médicale dans la Chine du Sud à la fin du 19e siècle, début 20e.

Dans l’Entraide spontanée, entraide provoquée en Chine rurale : l’intervention communiste (1943-1944), les auteurs désirent examiner les traditions communautaires, plus particulièrement, l’entraide agricole spontanée et les coutumes anciennes qui lui sont associées. Ils veulent démontrer qu’avec la tradition, le paysan chinois n’était pas du tout préparé à la venue du collectivisme, innovation du projet communiste. D’une entraide agricole spontanée (les paysans prennent l’initiative par eux même de s’entraider), le communisme emmène ainsi une entraide agricole provoquée (le parti communiste va obliger tous les paysans – qu’ils veuillent ou non – à s’entraider collectivement) dès 1940. Aubert, Ying et Kiche vont arriver à la conclusion que traditionnellement, le paysan échappait à l’emprise du gouvernement dans sa vie de tous les jours (comme nous l’avons vu le cours précédent). Avec l’arrivé des communistes au pouvoir, le gouvernement va s’ingérer dans les affaires paysannes, organisant tout prenant des jeunes paysans dans son armée. Les paysans vont alors essayer de retrouver leur autonomie d’antan. 

Pour parvenir à justifier leur thèse, les auteurs ont trouvé très peu de documents présentant l’entraide agricole traditionnelle, puisque les sociologues d’avant 1949 se sont plutôt concentrés sur les structures familiales. Ce sont les communistes  qui ont fait une enquête très détaillée de la question. La source la plus précise est le « Mouvement pour la production » de Mao Zedong en 1943. De plus, ils vont se baser sur des publications de Franz Schurmann, Mark Selden et John Wong qui, tous trois, insistent sur le caractère réaliste du projet communiste
Ainsi, l’entraide agricole traditionnellement était fondée sur la notion « d’échange de travail » (biangong). La majeure partie des biangong sont des petits groupes où l’on retrouve de petits échanges de main-d’œuvre (xiao biangong) entre 2-3 familles ou entre voisins : échanges matériaux et bêtes (bœuf). Le travail prêté est aussitôt rendu, il n’y a pas besoin de faire de comptes, les rapports sont amicaux et l’échange s’organise spontanément. À l’opposé, on retrouve les grands échanges (da biangong) qui peuvent rassembler 10 personnes et plus. Ces échangent ne sont pas vraiment égaux car les terres sont de dimensions différentes. Il peut y avoir frictions personnelles et des mécontentement. Par ailleurs, le groupe étant nombreux, apparaît un problème qui n’existe pas dans les petits groupes (xiao biangong), c’est le tour. Par exemple, s’il y a 10 participants, le tour dure six jours et la personne placée à la fin du tour va risquer de voir ses terres cultivées trop tard. On retrouve également un autre grand groupe d’échange nommé « bandes de travailleurs » (zhagong) où l’on retrouve une organisation avec un maître, un contre-maître et un comptable. Les journaliers sont payés et doivent suivre un règlement de travail précis. À la différence des petits groupes, il n’y a pas de liens amicaux puisque aussitôt le travail finit, ils partent.  C’est deux groupes vont être organisés parce qu’on retrouve une insuffisance technique (manque d’animaux de labour) et une insuffisance numérique (le temps est trop court par rapport au calendrier agricole). L’entraide technique va être une nécessité vitale pour les pauvres puisqu’ils vont pouvoir s’échanger des animaux contre l’aide d’une main-d’œuvre. Par ailleurs, dans les petits groupes, les familles ou les voisins vont se répartir le travail de façon égal donc il n’y aura pas de tensions trop fortes puisqu’elles partagent les mêmes intérêts. L’entraide agricole ne va pas être la seule facette de rapports sociaux, ces familles vont s’entraider pour les cérémonies de mariage, toutes les femmes vont préparer ensemble les repas, par exemple.  Toutefois, chez les zhagong, les bandes de travailleurs, on retrouve plutôt une monotonie des tâches agricoles, une rivalité et une angoisse chez les paysans qui se sentent constamment surveillés et les entraides vont plutôt être présents pour une finalité économique, non sociale. Donc, dans la Chine traditionnelle, on ne va pas retrouver à l’échelle du village, des groupements d’entraides larges communautaires, avec une forte solidarité entre la communauté.
Avec l’arrivée du projet communiste en 1944, on voit une réorganisation sociale. Les fondateurs des nouvelles structures d’entraide sont tous des paysans pauvres qui se sont enrichies avec la venue des communistes dans leur village. Les inondations, la sécheresse, le pillage des Japonais va détruire l’ordre économique existant, ce qui va ouvrir la voie à l’intervention communiste. Leur projet consiste à une grande équipe d’échange de travail dont hommes, femmes et personnes âgées participent. Ils vont aussi faire une extension sociale de l’entraide en incluant désormais les « vauriens » des villages et les joueurs. De plus, alors que l’entraide était restreinte à l’agriculture principalement, elle va faire partie de tous les secteurs. De nombreuses difficultés vont peu à peu prendre place, comme le fait que certains vont devoir intégrer le groupe même s’ils ne le veulent pas. La difficulté des tours va encore être présente et on va voir une réelle gestion de la main-d’œuvre. La propagande va être au cœur du processus de mobilisation qui va jouer sur la persuasion et la contrainte. S’ils n’arrivent pas à convaincre, vont utiliser la peur. Les paysans ne vont pas aimer ces formes d’organisations étrangères aux traditions. Les grandes équipes vont donc se heurter à une résistance de la part des paysans qui vont boycotter les structures d’entraide qu’ils trouvent trop compliquées. Les paysans ne voudront pas non plus collaborer avec les riches et vice-versa. On retrouve ainsi une dissolution de la grande équipe dans plusieurs villages, puisque les paysans vont revenir au biangong traditionnel. Toutefois, en 1944 les communistes relancent ce projet. Ce n’est pas pour avoir une meilleure efficacité de la production agricole, puisqu’ils ont bien vu l’échec de leur projet dans les années 1940. C’est plutôt pour le contrôle social, pour un objectif politique. 



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