dimanche 2 décembre 2012

La parole comme arme de mobilisation politique


Amelia Lecousy             Mardi 4 décembre 2012
Billet 8


Isabelle THIREAU, Chang SHU, «  La parole comme arme de mobilisation politique » dans D’une illégitimité à l’autre dans la Chine rurale contemporaine, Études rurales, Editions de l’E.H.E.S.S., 2007/1 n179, pp.35-58.

Très peu d’informations nous sont accessibles concernant la vie des deux auteures, Isabelle Thireau et Chang Shu. Néanmoins, le site de l’E.H.E.S.S (École des Hautes Études en Sciences Sociales) nous apprend qu’Isabelle Thireau est directrice de recherche du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine. Sociologue, son champ d’études se concentre sur la sociologie des normes et de la justice, les formes de coordination dans les communautés rurales, les migrations internes et lien social, ainsi que le travail et les nouvelles formes de relations salariales en Chine. Elle a écrit trois ouvrages, tel que Les ruses de la démocratie. Protester en Chine (Paris : Seuil, 2010) et a beaucoup publié d’articles. 
Quant à la seconde auteure, je n’ai trouvé qu’une publication – hormis l’article que je présente – qui est « Des corps qui parlent : Travailler beaucoup travailler dur à dazhai » (2007, sur Cairn).



Elles vont se baser, pour écrire cet article, sur des récits, des écrits de Mao Zedong, ainsi que sur des publications récentes. C’est beaucoup plus une étude sociologique qu’historique. L’article est toutefois bien écrit et bien fourni par des récits pour appuyer leurs propos.
Isabelle Thireau et Chang Shu traitent, dans l’article, de l’une des campagnes politiques de la réforme agraire de 1950. Il s’agit du mouvement de mobilisation politique qui accompagne la mise en place du « système d’achat et de ravitaillement unifié » (tongou tongxiao), qui donne le monopole à l’État sur l’acquisition et la distribution des produits agricoles. Elles vont traiter du recours à la terreur dans les campagnes, du rôle majeur que vont jouer les activistes locaux, ainsi que de la violence langagière.
Ainsi, elles expliquent que la mise en place de ce système d‘économie par Mao Zedong va faire en sorte que les paysans vont devoir vendre à l’État leurs produits à bas prix et acheter à prix élevé les biens dont ils ont besoins. Ce système va causer une grande séparation entre la ville (citadins qui ont un revenu beaucoup plus élevé) et la campagne, séparation qui perdure encore aujourd’hui. On retrouve deux grandes phases de cette mobilisation qui vont servir à instaurer l’ordre politique, désigner les « ennemis politiques » (capitalistes) et imposer à tous une même conduite. La première phase consiste en des séances, lors d’assemblées, appelées « récits d’amertumes » dans lesquelles les paysans exposent leurs souffrances et injustices dont ils avaient été victimes. Puis, les équipes choisies pour faire appliquer cette réforme vont inciter ces paysans à procéder aux accusations et s’en prendre à des membres qui appartiennent à la classe des « propriétaires fonciers ». Désignant publiquement des coupables, les responsables confisquaient tous les biens des accusés et ces derniers étaient malmenés, frappés et parfois mis à mort. La deuxième phase est celle de l’attribution des étiquettes de classe et de la distribution des terres. En fait, les foyers qui n’avaient pas de terres et les ouvriers agricoles désiraient être dans une classe appart, particulier. Les auteures expliquent ensuite qu’il y avait deux groupes d’accusés : ceux qui étaient dans la gestion des affaires communes et ceux qui se trouvaient en conflit avec les accusateurs, d’une part, et d’autre part les paysans-riches (les propriétaires fonciers). Ainsi, les coupables étaient ceux 1ui appartenaient à une classe différente des « paysans-pauvres ». Tout était une question de la lutte des classes et de pratiquer la terreur pour « éliminer » les capitalistes. Les paysans étaient donc encouragés à appeler à la vengeance qui était considérée comme légitime. Lorsque Mao va instaurer le « pouvoir d’achat unifié » en 1953, les paysans ne pourront pas prendre « la parole » et se plaindre contre ce système. Tous les paysans qui se positionnaient contre ce système étaient perçus comme contre-révolutionnaires et étaient condamnés. La violence instaurée dans les campagnes par les activistes locaux a contribué à la rupture et l’isolement des individus. Ces activistes, qui avaient pour but de diffuser les différentes mesures politiques adoptées et contrôler la population, devaient donner l’exemple aux paysans pour ce qui a trait au système d’achat unifié. Ainsi, les paysans ne pouvaient s’opposer à cette mesure puisque les activistes eux-mêmes acceptaient les sacrifices de ce système. Ces activistes utilisaient une autre forme de violence pour convaincre les paysans : la parole. Selon les auteurs c’était l’arme principale des activistes, puisqu’ils persuadaient et proféraient des menaces. Par ailleurs, le fait de surveiller tout ce que les paysans disaient et d’accuser tous ceux qui étaient suspectés d’être contre-révolutionnaire, les paysans évitaient de prononcer des paroles qui risquaient de les mettre en danger. Les auteures font comprendre alors que le comportement moral et le statut politique étaient devenus très liés. La seule façon trouvée pour résister à ce système économique était de détourner les travaux des champs et de dépenser moins d’énergie sur le travail. En conclusion, elles expliquent que les paysans, menés par la peur et la terreur, ont fait une résistance face à la campagne de mobilisation et ont perdu ainsi les droits qu’ils détenaient sur la propriété et la gestion des terres cultivées. 


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